Mes jours s'écoulent dans une serre tropicale où il m'est offert d'assister quotidiennement au spectacle fascinant de la chute d'une civilisation. Mais mes Maîtres n'appellent pas cet endroit une serre tropicale, ils appellent ça un plateau.
Depuis quelques temps, on n'entend plus sur ce plateau que la voix du monomaniaque dont la coiffure me fait irrémédiablement penser à la naissance de l'Univers...
Le Phénomène était occupé à psalmodier dans sa barbe les sentences les plus noires du Grand Inquisiteur, lorsqu'il bondit soudainement de son siège en déclarant que non, il n'était pas agressif, qu'il se défendait contre l'Oppresseur, et qu'il allait s'expliquer avec Pascal. Pascal, faut-il le préciser, est le directeur du centre tropical où je viens m'abrutir à la besogne afin de gagner une misère que je reverse ensuite à l'Etat.
Le fabuleux personnage se rendit donc chez Pascal, et ce qui s'est dit lors de la collision reste à jamais perdu pour mes oreilles ainsi privées d'une pièce maîtresse de lyrisme surréel...
Les extrapolations ne manquent pas qui décrivent avec le plus sombre romantisme l'entrevue secrète, mais Sa Suffisance est sorti du bureau du Patron les mains dans les poches, en shootant dans d'imaginaires boulettes de papier et marmonnant à part lui avec l'accent de la plus profonde indignation:
" Hystérique. Sale petite pétasse hystérique. "
En cet instant même je jubile en me rappelant les regards désemparés que s'échangèrent alors mes collaborateurs, et tandis que la moitié de l'étage semble sur le point de glisser dans la panique, le monstre agite ce qui lui sert de tête, mais qui est en réalité un hommage ultime à David Lynch, tout en discutant avec son écran d'ordinateur qu'il appelle 'Mon cher Rachid'...
Je ne serais pas surpris, un soir, de surprendre l'individu, tourmenté par les Démons de l'Incertitude, prendre frénétiquement sont envol par la fenêtre, et offrir à un parterre de collaborateurs subjugués, le spectacle de sa silhouette fantasmatique se découpant dans le soleil couchant, avant d'aller s'aplatir sous l'implacable détermination de la circulation périphérique.