On croyait avoir tout vu en matiĂšre de zombies, et on avait le sentiment de l’avoir vu un peu trop. CinĂ©ma d’avant-garde Ă  la fin des annĂ©es 1960, allĂ©gorie cannibale de la sociĂ©tĂ© de consommation les deux dĂ©cennies suivantes, absent des Ă©crans dans les 1990s, et finalement catharsis de l'Ă©pidĂ©mie terroriste depuis l’an 2001, le film de zombie est la plupart du temps grotesque et ressassĂ©. Son potentiel comique a Ă©tĂ© mis Ă  profit dans des films non nĂ©gligeables comme Fido (2006), Warm Bodies (2013) ou Life After Beth (2014). En 2016, l’étonnant Train To Busan est parvenu Ă  rafraĂźchir l’exercice avec dynamisme et humanitĂ©. MĂȘme en passant sous silence le phĂ©nomĂšne considĂ©rable des sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es, il est remarquable que les mythologies zombies ont envahi notre culture au point qu’on envisagerait de recourir Ă  une psychothĂ©rapie planĂ©taire.

Il m’apparaĂźt un point commun Ă  toutes ces productions en ce qu’elles flirtent avec le sentiment du malaise sans jamais le saisir complĂštement. L’horreur, le rire et le dĂ©goĂ»t sont bien sĂ»r parcourus en long et en large, mais pratiquement jamais on n’atteint cette angoisse incertaine, cette panique douce, comme dans le film de Colm McCarthy qui nous offre un voyage dans la vallĂ©e de l’étrange : The Girl With All The Gifts.

Parmi les facteurs qui distinguent The Girl des films du genre, on peut dĂ©signer le scĂ©nario, dont l’originalitĂ© ne fait pas appel Ă  la surenchĂšre de WWZ ni Ă  la diversion psychodramatique de TWD, mais plutĂŽt au mystĂšre. De plus, les interactions entre les personnages sont crĂ©dibles, car elles ne s’embarrassent pas des querelles de pouvoir ou des leçons de morales infantiles qui encombrent souvent les productions hollywoodiennes.
On n’y trouve ni bon ni mĂ©chant, mais simplement des personnes plongĂ©es dans un cauchemar et qui se dĂ©battent pour y donner un sens. Avec poĂ©sie, le flĂ©au s’épanouit sous forme vĂ©gĂ©tale, ce qui lui confĂšre un caractĂšre doux et apaisant, tout en rĂ©vĂ©lant chez ses victimes la fureur cannibale.

Mais c’est la mise en scĂšne qui par son habiletĂ©, propulse le spectateur dans l’horreur par petites touches, en rĂ©pondant Ă  chaque interrogation par une rĂ©ponse effrayante. Souvent, les films de zombies mettent en place un dĂ©cor apocalyptique et y prĂ©cipitent des personnages pour le plaisir morbide de voir comment ils s’en sortent. Ici, il faut 20 bonnes minutes de dĂ©sarroi au spectateur pour rĂ©aliser qu’il s’agit d’un film de zombies. L’apocalypse se rĂ©vĂšle tout au long de la narration, comme la pourriture recouvre un cadavre jusqu’à s’en approprier la silhouette.

Les décors, tchernobyliens, montrent des lieux citadins envahis par la nature et comme rendus à la vie par la mort de leurs habitants.

Et puis il y a la musique. La bande originale est sans doute la plus efficace jamais entendue sur ce genre de films. A la fois discordante et douce, comme une berceuse qu’on jouerait pour un supplice. Elle rĂ©sonne au fond du cƓur comme le spectre d’une rĂ©vĂ©lation atroce Ă  l’instant de s’engourdir dans une douillette torpeur. On Ă©prouve la sensation de flotter Ă  la surface de la terreur sans y pĂ©nĂ©trer, afin de s’en imprĂ©gner paisiblement.
Le titre mĂȘme du morceau Hungry Woods exprime trĂšs bien la vĂ©gĂ©tale fatalitĂ© du flĂ©au, la futilitĂ© des notions de bien et de mal, la vitalitĂ© Ă  l’oeuvre dans la dĂ©crĂ©pitude.

A aucun moment on ne sursaute. L’orchestre ne fait pas retentir de fracas pour susciter une Ă©motion factice. On demeure fascinĂ© jusqu’à la fin du monde, dans une panique douce et ensoleillĂ©e.