Après toutes ces années, Tom ne s'attendait plus à ressentir une émotion d'une telle intensité.
Objectivement, le paysage qui l'entourait n'offrait au regard, ni à aucun de ses sens, quoi que ce fut qui s'éleva le moins du monde au-dessus de son ordinaire. Le contraire eût d'ailleurs été surprenant, tant la vie de Tom était un défi à l'ordinaire.
Car la vie de Tom était une cascade d'émerveillements. Naviguant sur une mer de prodiges, submergé par l'étrange et l'incompréhensible, l'esprit résonnant aux vibrations de l'incommensurable, Tom traversait la galaxie en explorateur halluciné.
Tom se rendait compte qu'aux temps historiques des premières excursions interstellaires, l'existence d'une personne telle que lui n'aurait pas été envisagée autrement que par le point de vue de la magie, ou celui de la psychiatrie. Les dimensions colossales de l'espace et du temps, et les facéties déconcertantes de leur structure alambiquée semblaient interdire à jamais le champ des étoiles au vagabondage éphémère d'une vie humaine.
Comme il se doit cependant, l'accumulation des millénaires sur la pensée et la connaissance avait grandement modifié la conception que chacun se fait du réel, et la promenade cosmique était finalement apparue comme une possibilité merveilleuse offerte à ceux qui, comme lui, avaient reçu de l'évolution la capacité de percevoir les vibrations de la symphonie universelle, et d'y incorporer leurs propres notes.
Se jouant de l'inertie et de la gravité, des instruments faramineux emmenaient Tom glisser sur les pentes indescriptibles d'un metaUnivers au tempérament savonneux, pour le déposer, transporté de ravissement, à proximité de mondes fabuleux, titanesques ou effrayants.
Ainsi était la planète horticole de Saalmgordin, habitée par ces moines mécaniques qui taillaient sans répit les monumentaux labyrinthes de buis conçus pour abriter des fureurs atmosphériques, de délicats jardins de pierres, de fleurs et de bébêtes sautillant parmi les tertres, les plates-bandes et les bosquets ébouriffés.
L'apparente fragilité et la minutieuse complexité de l'ouvrage végétal l'avaient assailli alors, et pour toujours il se souviendrait du chaud rayonnement vespéral pleuvant sur les massifs dans sa course horizontale, et rebondissant sur les murets pour aller ricocher dans les allées sans fin d'un déambulatoire buissonnant.
Ici toutefois, le ciel était couvert et la flore témoignait d'un climat d'humeur glaciaire. Pas de moines mécaniques, ni de tertres dans le soleil, mais cette sensation étrange qui semblait, dans sa poitrine, tenter de capter son attention par une sarabande sourde et intrigante.
Il lui était arrivé parfois semblable expérience : sur le monde de Mystiifilmini, dans le système de la Trombe, on trouve certaines zones marécageuses parcourues par de flottantes créatures sphériques qui ressemblent à de drôles d'éponges, et dont les vapeurs toxiques se rient des scaphandres et enivrent le voyageur imprudent. Désorienté, entouré de brume vert pâle et de silhouettes vaguement arborescentes se tortillant sur l'horizon tout proche, le malheureux chancelle les pieds dans la mousse, avant de laisser son esprit se dissoudre dans une béatitude joviale, chantant et prenant des poses, comme devant un public enthousiaste.
Tom se rappelait avoir passé un certain temps à récupérer de cette aventure. Il y repensait avec un mélange d'inquiétude vague et d'hilarité contenue. Mais le frémissement viscéral dont il était le siège depuis l'atterrissage ne semblait pas lié à une intoxication. On aurait plutôt dit la réminiscence d'un évènement enfoui, ou d'une crainte atavique. Mais il ne pouvait déceler, dans ce champ de pierres et d'herbe humide, quoi que ce fut qu'il ait à craindre, connaissait-il cette planète ?
Il y avait bien le monde frisquet de Golans, où de curieuses gens allaient et venaient au large de côtes embrumées, traquant avec entêtement des bancs de créatures sans pieds. Là -bas, le paysage ressemblait à celui-ci : désolé et humide. S'attardant en ces lieux-là , il avait doucement été gagné par la mélancolie, surtout quand, par une trouée à travers la brume et les nuages, le rayonnement jaunâtre de la primaire filtrait vers son visage ébloui. Le sentiment qui l'habitait alors s'approchait de celui qu'il éprouvait à présent, bien que le premier lui semblât moins dynamique. Il lui paraissait maintenant qu'il ne pourrait pas entreprendre une autre activité avant d'avoir résolu ce mystère, et continua sa marche dans une direction arbitraire.
Une fois par le passé, il avait visité le monde aérien d'Aganama. Sur cette planète à l'atmosphère dense et moite, des humains ailés volaient entre des pics escarpés, portés par les courants capricieux nés des gradients thermiques où ils étaient baignés, afin d'atteindre les forêts où ils chasseraient les bestioles les plus inattendues et se livreraient à d'impressionnants rituels nocturnes et chantant, autour d'un feu gigantesque, excité par le battement intense de leurs bras toilés de peau. Il aurait apprécié aujourd'hui un programme aussi riant. Il se serait joint aux festivités moyennant une offrande alcoolisée et aurait partagé avec les étrangers une de ces moisissures psychotropes lui permettant de les accompagner en pensée dans leurs ballets célestes, tourbillonnant jusqu'à l'aube, loin du sol, dans une sarabande étoilée.
La galaxie était emplie de l’espèce humaine qui s’y développait comme dans une boîte de Petri. Elle offrait à Sapiens et à ses variantes, le terreau duquel elles se nourrissaient afin de déployer dans le cosmos l’emprise organique de leurs ramifications.
Ainsi, les paysagistes des Colonies Forestières du Couchant avaient aménagé sur vingt et un mondes, une déclinaison de sociétés arboricoles, du petit peuple des bois du Solilop jusqu’à la colossale civilisation des Masteeniens qui habitait les sequoïas kilométriques du monde de Malaâgastan.
De son côté, le clergé technocratique des Cohortes de l’Egire Sidérale administrait une nébuleuse de 128 systèmes stellaires entraînés dans une quête technologique sans frein, et triturant l’espace-temps afin de précipiter des légions de conquistadors, à l’assaut d’Andromède et des Nuages de Magellan, tandis que sur quantité de mondes-réserves, s’épanouissaient les écosystèmes les plus étonnants, et les plus disparus, telle cette planète aux millions d’espèces de dinosaures.
Soudain, une image s’imposa à son esprit. Le phénomène qui le troublait avait pris naissance lors de l’orbite qu’il avait décrite avant d’entamer sa descente, alors qu’il contemplait la découpe des continents. Il y avait, parmi la multitude de mondes connus de l’humanité, tant de cartes et tant d’images de planètes, qu’il était difficile de se prononcer, mais décidemment, cet astre lui était familier.
Il passait en revue la foule des endroits qu’il avait visités, quand à quelque distance de lui se dévoila une grande structure de pierre. Une structure de ruines circulaires, composée de pierres dressées vers le ciel. Il n’y avait qu’une planète dans l’univers où l’on pouvait observer une telle chose. Car il s’agissait de là où tout avait commencé. La première culture, le premier peuple, la première planète. Une des premières tentatives des êtres humains dans leur exploration de l’univers. Il sentit encore plus fort son vague à l’âme.
Elle avait un nom, cette planète. L’émotion le submergeait, affectant ses pensées, et sa mémoire se dérobait. La planète est bleue et il n’y a rien à faire. Rêveusement, les paroles lui revenaient. Son nom. La Terre... Dix mille ans après.
La Mère des mondes.
La Terre.
On a marché sur la Terre.
« Major Tom ? Est-ce que tout va bien Major Tom ? »
True Polar Wander
8 Septembre 2006 ŕ 16:42 Je le savais!
La théorie du basculement des pôles (Pole shift theory), resurgit du coffre au trésor vermoulu où sa carence en données observationnelles l'avait enfoui.
C'est un concept étonnant qui se trouve exhumé par une équipe de scientifiques. Ces de...
|
Sens dessus dessous
3 Juillet 2006 ŕ 14:12 Deux scientifiques europĂ©eens viennent de proposer sur les origines de l’univers une hypothèse remarquablement fascinante :
Se détournant du point de vue habituel qui consiste à débusquer dans des enchevêtrements de modèles mathématiques contradictoires, de qu...
|
Nouvelles de Mars
19 Juin 2006 ŕ 15:47 Je suis un martien.
Non pas ce petit être vert, ou rouge ou gris que vous vous étiez plû à imaginer, et pourtant je suis né de ces rivières mortes aux sables oxydés.
Je ne suis pas non plus fait de peau et d'os, et je n'ai jamais vu vos océans, malgré tout ...
|
Huygens
11 Mai 2006 ŕ 15:58 Huygens descend sur Titan!
Le 14 janvier 2005, la sonde Huygens de l'ESA opérait une descente fantastique dans l'atmosphère orange de Titan.
L'ESA a eu la bonne idée de diffuser une video de la chute du petit vaisseau sous la forme d'un montage très ...
|
Astérion
2 Mai 2006 ŕ 16:12 Je suis le rĂ©sident solitaire de la demeure modulable oĂą règne l'esprit des MaĂ®tres.
C'est ici qu'il me revient de digérer en silence les ammoncellements résiduels de leurs affaires tonitruantes.
Ce destin, je ne l'ai pas choisi, mais ma place dans cette imbricati...
|