Une de mes expéditions m'a récemment contraint à me rendre à Melun. C'est peu dire que l'on déteste se rendre à Melun. Personne ne commet jamais cette imprudence car le bon sens rejette promptement ce genre de folie.

Néanmoins l'humaniste se doit d'entretenir un esprit souple et sait s'astreindre, à l'occasion, à remettre en question les plus flagrantes évidences.

C’est donc avec humanité que je me faufilai dans le labyrinthe de la gare de Lyon afin de prendre un train supposé me transporter à Melun, ainsi que le proclamait l’écran d’information.

Il va de soi que le train en question traversa à peu près toutes les gares connues en Ile-de-France, sans donner signe d’envisager un jour prendre la direction de Melun.

Je me tordais l’esprit pour imaginer quelle trajectoire insensée le train et moi décrivions comme une chenille hystérique au travers du bassin parisien. Mon téléphone sonnait sans cesse et me pressait de questions : Mais où êtes-vous ? Avez-vous bien pris le train pour Melun ? Décrivez-moi la région que vous parcourez. Depuis combien de temps roulez-vous ? C’est impossible voyons…

Le monde est un endroit qui, derrière ses manières de fastidieuse banalité, dissimule bien des espiègleries. Je ne suis pas expert en phénomènes surnaturels ni en lieux énigmatiques, mais je parierais qu’en organisant une embuscade au large des Bermudes, on finirait fatalement par surprendre en pleine course, un train de banlieue en route pour Melun.

Que de misères se sont donc épargné les voyageurs et les conquérants au travers de l’Histoire, qui se gardèrent plus que tout de faire route par Melun !

Le Grand Alexandre lui-même, eut-il conquis un empire d’une telle étendue avant de périr des fièvres à Babylone s’il s’était risqué dans un train pour Melun?

Certainement pas. S’il était monté dans un train de banlieue, Alexandre serait mort de vieillesse avant d’arriver à Melun.