
A l’instar de maintes rumeurs de conspirations, s’épanouit depuis quelque temps sur le web, le sujet fort à la mode de la planéité de la planète Terre. Une recherche rudimentaire m’apprend que le phénomène n’est pas nouveau et que la Flat Earth Society existe depuis 1956. Ses membres défendent l’idée selon laquelle notre planète est un disque, sur lequel les terres émergées sont entourées d’un mur de glace circulaire. Leur conviction est que les nombreuses évidences apportées par les activités astronautiques sur sa globularité sont des falsifications relevant d’un complot institutionnel.
Cette semaine, l’américain Mike Hughes avait même prévu de confirmer cette idée par l’observation, en embarquant dans une fusée qu’il a lui-même fabriquée. Une fusée à vapeur, dit-on.
Ce phénomène est très intéressant car il illustre une tendance contemporaine et conséquente, à la remise en cause irréfléchie de tout ce qui ressemble à un discours établi.

La fusée à vapeur de la controverse
A chaque fois qu’un progrès déterminant est accompli dans les technologies de communication, on s’attend naïvement à ce que s’ouvre pour l’humanité une ère de compréhension et de paix, où chacun accède également à la connaissance et à l’éducation. Dans la pratique, on est souvent déçu pour la raison que je suppose être que les humains ont besoin de temps pour s’adapter à de nouveaux modes d’interactions et commencent, comme les jeunes enfants, par briser leurs jouets en causant un grand désordre avant d’investir leur spontanéité dans les jeux de construction.
En ce 21e siècle bégayant, il semble évident que l’accès total à l’information ne garantit pas que l’on soit bien informé. En fait, ce serait plutôt le contraire, et il est intéressant de remarquer que la Flat Earth Society, qui était tombée en désuétude dans les années 1980, profite d’un regain d’intérêt depuis la fin des années 2000 et la mise en ligne de son site internet https://theflatearthsociety.org/.
L’esprit critique et la liberté de penser sont des jouets relativement récents dans l’histoire humaine et nombreuses sont les occasions d’en faire un usage inapproprié. Il nous reste encore à apprendre comment interagir et exercer notre jugement, dans un monde connecté où souvent les discussions sont vaines, et où l’impatience pour des réponses immédiates favorise les réponses fausses.
A l’opposée, l’appréhension des phénomènes du monde observable est souvent complexe et requiert des raisonnements délicats. Nombre de notions scientifiques par exemple (mais aussi d’autres domaines de réflexion), sont difficiles à intégrer sans un effort intellectuel significatif. Face à cet effort, un individu peut être amené à se sentir exclu d’une discussion qui lui paraîtrait réservée à une élite éduquée. Ainsi, plutôt que de chercher à combler leurs lacunes, certains sont tentés de se rabattre sur des explications erronées, mais qui les dispensent de sortir leur intellect de son emballage.
M. Hughes, qui s’est construit une fusée pour prouver que la Terre est plate ne semble pas douter de la mécanique de Newton qui lui permet de prédire sa trajectoire dans l’atmosphère. Pas plus que le rappeur B.o.B, qui espère mettre un satellite en orbite pour mettre en évidence les supercheries de la NASA. Pourtant, une familiarité même enfantine avec les principes du vieil Isaac, suffit à abandonner l’hypothèse de la Terre Plate dans le tiroir des impasses scientifiques, aux côtés du phlogistique et de la pierre philosophale. Plus immédiatement encore, la variation des constellations suivant les hémisphères, ou bien l’expérience à la portée de chacun du décalage horaire, donnerait matière à penser à un enfant de cinq ans. Il semble que M. Hughes n’ait pas pris la peine d’y réfléchir. Qu’on aille me chercher un enfant de cinq ans.
Malgré tout, je soutiens avec enthousiasme le principe de sa démarche, car M. Hughes tente ici une expérience afin de vérifier une supposition. Le besoin de vérifier par soi-même est non seulement légitime, mais même indispensable d’une façon générale. Le mode opératoire de l’aventurier laisse malheureusement présager que son expédition n’aboutira pas à une conclusion valable (J’ai lu qu’il compte s’élever à l’altitude de 550m pour établir sa preuve, ce qui en dit long sur la finesse de sa géométrie). Néanmoins, on peut saluer la démarche qui consiste à monter une expérience, fut-elle maladroite, plutôt que de croiser les bras en psalmodiant des vérités.


Godspeed Mike ! Have fun 🙂

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