L’Antagoniste

Published by

on

De l’avis général, les films de Terminator postérieurs à 1991 ne sont pas à la hauteur des précédents. C’est également mon avis, mais le sujet mérite d’être exploré plus précisément.
Avant tout, il me semble important de remarquer que s’ils sont décevants, les films en question ne sont toutefois pas complètement ratés. Ils recèlent des jolis effets visuels, proposent des histoires non triviales et constituent un assez bon divertissement.
Leur principal défaut à mon avis, c’est qu’ils sont hors sujet.

Selon moi, la valeur d’un film de Terminator est avant tout une question de mise en scène.
Ce sont des films d’atmosphère, de musique et d’éclairages. L’action privilégie la nuit, la photo est désaturée, projetant sur l’écran un univers sombre et oppressant. La musique est inquiétante, parfois discordante, et martelée comme un processus industriel. On y trouve même des crissements qui rappellent le thème de Psychose.

Il ne me semble pas exagéré d’affirmer qu’il existe dans ce cas, une charte graphique et sonore qui faute d’être respectée, scelle la déconfiture du film.

Mais à un niveau plus fondamental encore dans le cadre ainsi défini, on trouve le concept nucléaire de la franchise : la nature du Terminator en tant qu’antagoniste.
D’une manière similaire à l’Alien de Scott, le Terminator de Cameron est un antagoniste parfait. Et c’est bien ça qui ne marche pas dans les films postérieurs à 1991.

Dans la plupart des drames il me semble, toute la question consiste à régler un différend entre deux humains, groupes d’humains, ou entre des humains et des dieux, ou des démons, ou bien toutes sortes de créatures magiques. Les humains et les dieux ont en commun d’être animés de passion. Ils éprouvent des sentiments et sont affligés de faiblesses, autant d’attribut qui servent de ressort au drame.

A côté de ça, le Terminator n’est ni humain ni dieu. Il n’est même pas magique. C’est un processus inexorable. Un automatisme obstiné et systématique. C’est le bulldozer des antagonistes.
Là où l’antagoniste classique autorise une confrontation basée sur la force ou la manigance, le Terminator épure le champ des options à une échappatoire unique : la fuite.
Insensible à la douleur et à la pitié. Impossible à arrêter.
OK, sauf qu’à la fin on l’arrête, mais bon.

Mais bon voilà. Cameron a une vision. Celle de la machine infernale qui l’a terrorisé à Rome, lors de son cauchemar enfiévré de 1981. Et j’insiste sur cette notion de terreur, car le Terminator est à l’origine un personnage qui fait peur, et ça ne se voit pas dans les films ultérieurs.
J’accuse de ce forfait la façon dont sont utilisés les effets visuels, ainsi que l’écriture de l’antagoniste.

Il se trouve que Cameron est un illusionniste, un créateur d’effets visuels inventif. Et toute son invention visuelle est mise dans ses films au service des personnages et de la narration.
Dans le premier film, c’est la technique du stop motion qui est mise à profit pour représenter l’inexorable mécanique qui s’acharne sur l’héroïne. Dans le deuxième, c’est l’élégant concept d’une sorte d’épée liquide, qui personnifie la menace impossible à contenir, comme l’eau qui envahit un navire lors d’un naufrage.

En comparaison, on a affaire dans les films suivants à des monstres de foire dépourvus de caractéristique effrayante. Le T-X dans film de 2003 possède une panoplie de scies et de chalumeaux qui font du dégât, mais sans inspirer d’épouvante. A aucun moment on n’a cette impression de désastre inexorable. Le T-X apparaît comme un sérieux contretemps, mais qu’il est possible de circonvenir avec de la pugnacité.
Qu’on songe par contraste à l’effet glaçant produit à l’époque par la vue du T-1000 traversant, ou plutôt se laissant traverser, par la grille de l’hôpital en 1991. On a là un plan sobre, étrange et déstabilisant, qui illustre de façon synthétique la nature du T-1000 : Vous pouvez mettre entre lui et vous autant d’obstacles que vous voulez, il passera au travers.

Alors certes, les films de 2015 et 2019 sont plein d’effets visuels plus impressionnants techniquement, mais ces effets sont livrés au spectateur comme un tour de force gratuit sans lien avec l’histoire. A chaque fois que l’antagoniste change de forme avec force tourbillons de magie visuelle, cela ne nous renseigne en rien sur sa nature, ses attributs et la terreur qu’il devrait inspirer. Au lieu de ça, on a l’impression d’assister à un tour de prestidigitation spectaculaire mais vide d’émotion.

En apparté, on peut remarquer qu’un film de 2014 intitulé It Follows rassemble précisément les ingrédients dont je parle et qu’il m’a inspiré une magnifique terreur, laquelle m’a suivi jusqu’en dehors de la salle, alors que je me trouvais cerné par les passants.
Un mot sur l’hybride homme/machine du film de 2015 : Il est incongru. C’est un personnage typique de mégalomane obsédé par son ambition. Il est dépourvu du mystère glacé que constitue un simple mécanisme programmé pour tuer. Il veut le pouvoir — ce qui est vulgaire — et est complètement à côté du sujet.

Le Terminator lui, ne veut pas le pouvoir. Il ne veut rien du tout, il se contente de suivre ses instructions.
Car un Terminator n’est pas un film sur un affrontement héroïque. C’est un film sur la fatalité, et la réponse humaine à cette fatalité.
Comme le Terminator, l’Univers nous poursuit tout au long de notre vie, et nous essayons jusqu’au bout de lui échapper.
Comme le Terminator, l’Univers ne cherche pas le pouvoir, car il le possède déjà.
Il veut juste nous tuer.

Laisser un commentaire

Previous Post
Next Post